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Interview : Thierry Brissaud nous raconte Bio c’ Bon (1/3)

Voilà maintenant plus d’un mois que Bio c’ Bon a été repris par le groupe Carrefour, suite à la décision du Tribunal de Commerce de Paris. Ce fut sans aucun doute un des temps forts de cette année 2020 côté retail tant il est rare qu’une entreprise en faillite aussi petite (150 millions de chiffre d’affaires environ) déchaîne autant les passions des plus grands acteurs du commerce.

A l’origine de la saga Bio c’ Bon, il y a Thierry Brissaud, un serial-entrepreneur aussi discret que décrié, qui ne s’était jamais exprimé dans les médias. En tant qu’ancien employé de Bio c’ Bon, j’ai souhaité vous faire découvrir la vision de ce personnage haut en couleurs, sans filtres.

Cette interview, réalisée mi-décembre, se déclinera en 3 parties. Dans ce premier chapitre, Thierry Brissaud revient sur les débuts de Bio c’ Bon puis les causes de la chute de l’enseigne.

Pour commencer, revenons en arrière, qu’est-ce qui vous a poussé à créer Bio c’ Bon?

Thierry Brissaud : C’était une approche sur plusieurs aspects:

Je sentais que les consommateurs allaient de plus en plus vers une alimentation naturelle, de qualité et bio, que c’était une tendance qui n’était qu’à son début mais qu’elle était sur un trend fort. En général, quand un marché commence à bouger fortement, on s’y intéresse.

Deuxièmement, l’outil de distribution n’était pas à la hauteur des possibilités du marché, qui était alors très peu encombré : il y avait grosso modo Biocoop et puis c’est tout ! Bref, une faible concurrence de la distribution.

Enfin, à titre personnel, j’ai toujours pensé que bien manger c’était bon pour l’être humain, bon pour la nature et bon pour la planète. Voilà les 3 raisons qui m’ont amené à créer Bio c’ Bon.

Êtes-vous personnellement consommateur de bio?

Oui bien sûr, je suis consommateur !

Quelles sont les raisons qui selon vous ont provoqué la chute de l’enseigne ?

Il y a plusieurs raisons. Le mode de financement était un système de levée de fonds avec des investisseurs privés sous forme du produit financier BCBB. Un premier problème s’est posé quand l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) a émis une note de méfiance vis à vis de nos produits financiers. Cela a provoqué un avis défavorable qui a circulé, qui nous a freiné dans la levée de fonds puis dans les emprunts bancaires permettant de financer les investissements.

« Personne n’aurait pu penser que l’AMF mettrait 18 mois pour reconnaitre qu’elle avait tort ».

Ce fut un premier problème car il s’est passé 18 mois entre le moment où l’AMF a mis en cause nos produits et le moment où ils nous ont écrit pour dire finalement qu’il n’y avait rien à reprocher ni aux produits, ni aux dirigeants. Ces 18 mois ont été difficiles pour les levées de fonds et donc difficiles pour les financements. A ce moment-là, on a baissé le rythme des ouvertures, tout en ayant une structure centrale assez importante.

Quand la structure centrale est construite pour un développement rapide, si d’un coup il y a une rupture de rythme, il y a des frais de structures qui ne sont plus absorbables pour l’activité en place car ils ont été prévus pour un parc de magasins plus important. Personne n’aurait pu penser que l’AMF mettrait 18 mois pour reconnaître qu’elle avait tort. Pour résumer l’impact de ce délai : des frais centraux trop importants par rapport au développement du parc.

« Tous nos samedis étaient bousillés par les gilets jaunes ! »

Deuxième cause de difficultés : quand l’essentiel du parc est dans les grandes villes, et que ces villes sont toutes bloquées par les manifestations de gilets jaunes tous les samedis, cela pose un problème. On a perdu 30% du CA du samedi, qui ne s’est retrouvé que partiellement dans les autres jours. Une diminution du niveau d’activité accrue par le fait que nous étions en centre-ville, et que tous nos samedis étaient bousillés par des gilets jaunes !

Autre facteur de complication, indépendamment des deux premières causes : quand on a changé d’entrepôt et d’organisation par le même effet, nous avons eu une période d’adaptation peu facile. Nous sommes passés d’un système qui marchait bien et qui était productif à un nouveau système qui aurait pu être encore plus productif si celui qui l’avait imaginé avec moi n’était pas parti avant de le mettre en œuvre (le directeur logistique de l’époque ayant quitté l’entreprise au moment de l’ouverture du nouvel entrepôt, NLDR). C’est un facteur qui nous a perturbé.

Il y a eu également un développement incroyablement rapide des rayons bio dans les grandes surfaces. Il ne faut pas oublier qu’il y a environ 10 000 points de ventes alimentaires (hypermarchés, supermarchés, proximité) et que la quasi-totalité a ouvert un rayon bio en 3 ans. On a vu d’ailleurs que les enseignes de la grande distribution ont pris plus de la moitié des parts de marché du bio, ayant un impact pour les pauvres entreprises comme nous qui ont vu s’implanter sur nos zones de chalandises ces nouveaux rayons. Dans une zone, il peut y avoir 6 ou 7 supermarchés : des Franprix, des Carrefour City, etc.

Il y a eu aussi de plus en plus de concurrents bio, comme par exemple si on regarde notre magasin Bio c’ Bon de Parmentier : il faisait 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires quand on l’a ouvert, puis 2 Naturalia & 2 Biocoop ont ouvert sur la zone, cela change radicalement le paysage concurrentiel.

Enfin, après les gilets jaunes on s’est dit que nous étions un peu faibles, et ne faisant pas partie d’un grand groupe qui pouvait assurer notre trésorerie, nous sommes allés chercher des repreneurs pour s’associer avec nous. Évidemment, beaucoup de gens nous ont convoité et à un moment nous avons signé un accord de négociations exclusives avec le groupe Zouari. A ce moment-là, nous avancions dans les négociations mais le temps passait et comme cela trainait, nous avons demandé à un conciliateur de nous aider.

Ce conciliateur, alors qu’il pouvait faire un prepack-cession avec les Zouari, a préféré ouvrir aux enchères du marché la vente de Bio c’ Bon, compte tenu du fait de la notoriété de l’enseigne et du fait qu’il y avait beaucoup de petits porteurs. On connaît le reste… Voilà donc tout le processus, avec des causes endogènes et des causes exogènes.

Sur les causes endogènes, avez-vous des regrets ou des décisions que vous auriez aimé changer?

Oui, je crois que dans une entreprise il ne peut pas y avoir 2 patrons. J’ai pris du recul à un moment donné, j’ai laissé de la place à Thierry Chouraqui (président de Bio c’ Bon, NLDR). Je n’étais pas souvent d’accord avec lui et la manière donc le management a évolué est quelque chose que je regrette beaucoup. Il y a eu un dysfonctionnement clair du management.

Plus personnellement, comment avez-vous vécu cette période de rachat puis de dépôt de bilan?

Je ne me suis pas plaint, je me suis dit « si on en est rendu là, c’est que j’ai mal fait mon boulot ». J’ai ma punition, j’ai réussi à faire un truc formidable en 10 ans puis j’ai mal fait à un moment donné. Le contexte n’a pas été favorable et j’avais à la fois un mauvais skipper, beaucoup de vent, et un bateau qui était un peu détérioré.

Que répondez-vous aux personnes qui estiment que l’entreprise Bio c’ Bon était vouée à l’échec du fait de son modèle financier, souvent qualifié de « pyramide de Ponzi »?

Alors là, si ces gens pensent que c’est par le cashflow que l’on envisageait de rembourser les investisseurs, ce sont des gens qui raisonnement mal ! Le bon raisonnement à tenir c’est que l’on possédait 100% du capital de la boîte, et ce qui devait payer les porteurs était une substitution d’actionnaires.

A partir du moment où Bio c’ Bon s’était développé, il suffisait de vendre progressivement des parts du capital pour payer les porteurs du départ. Notre modèle financier ne prévoyait donc pas de payer les porteurs par le cashflow mais par la cession partielle du capital que l’on détenait alors totalement.

« Ce sont les imbéciles qui comparent Bio c’ Bon à une pyramide de Ponzi ! »

De qui parlez-vous quand vous dites « on »? Vous personnellement ou Marne et Finance ?

Les deux. Au dessus de Marne & Finance, il y a Marne & Finance Europe, mais comme je détiens 90% des deux, c’est pareil.

En l’occurrence, voilà la vérité. Une chaîne de Ponzi, c’est ramasser des sous, ne pas investir, rembourser les précédents avec de l’argent des nouveaux sans l’avoir investi. Encore une fois, ce sont les imbéciles qui comparent Bio c’ Bon à une pyramide de Ponzi! Les magasins sont là, on n’a pas pris l’argent pour se tirer aux Bahamas et garder la trésorerie pour payer les investisseurs.

Le cashflow c’est une chose mais ça n’est pas comme ça qu’on pourra payer les petits actionnaires. C’est en créant de la valeur qu’on pourra la rendre liquide grâce à la cession d’une partie du capital, et c’est toujours comme ça que je l’ai expliqué.

Rendez-vous dans les prochains jours pour découvrir la suite de cette interview inédite. Au programme : des révélations sur un potentiel acheteur trois ans plus tôt et l’analyse des offres de reprises de Carrefour, Biocoop et le groupe Zouari.

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