Et une réglementation de plus ! Le Conseil d’Etat a rendu un avis favorable à l’étiquetage obligatoire de l’origine des viandes et du lait dans les produits transformés le 26 juillet dernier. A partir du 1er janvier 2017, les sandwichs au jambon, saucisses et plats cuisinés, mais aussi yaourts, fromage, ou beurre devront donc afficher le pays d’origine pour chaque ingrédient pesant plus de 50% du poids dans un produit transformé [l’arrêté pourra éventuellement fixer un seuil inférieur ultérieurement]. « Cette décision permettra aux citoyens de bénéficier d’une meilleure information et aux producteurs de lait et de viande de voir la qualité de leurs produits pleinement reconnue », s’est félicité le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll dans un communiqué.
Une mesure qui répond aux demandes des agriculteurs et aux consommateurs
Car la mesure est avant tout politique, destinée à rassurer les éleveurs laitiers. Ces derniers, en pleine crise, espèrent ainsi mieux valoriser leur production alors qu’ils s’estiment concurrencés de façon déloyale par le lait allemand ou belge, beaucoup moins cher. Les consommateurs sont a priori aussi demandeurs ; un sondage de 2013 mené par l’association CLCV montre que 81% des Français sont favorables à une information sur l’origine des principaux ingrédients (c’est‐à‐dire ceux représentant la moitié du poids du produit).
Concernant les produits transformés à base de viande, plusieurs marques ont pris les devants et indiquent déjà son origine dans leurs produits, comme Marie, Findus, Le Gaulois ou Zapetti. Mais selon l’association de consommateurs Que Choisir, 54% des produits à base de viande font l’impasse sur l’origine. Pour les produits laitiers, il n’existe aucune véritable initiative pour l’instant.
Un protectionnisme qui ne dit pas son nom
Du coup, le caractère obligatoire de l’étiquetage était réclamé à grands cris par la France auprès de Bruxelles. Cette dernière s’est toujours refusée à un tel principe de « discrimination », qui va à l’encontre du principe fondamental européen de la libre circulation des biens. Elle a même rendu un rapport défavorable en 2015, mettant en doute la faisabilité d’un étiquetage pour des produits laitiers ayant subi de nombreuses phases de transformation. Surprise, donc, lorsqu’en mars 2016 Stéphane Le Foll annonce avoir obtenu l’accord de la Commission. Il faut dire que la France a joué finement, faisant valoir qu’il ne s’agit officiellement que d’une « expérimentation » de deux ans.
Les industriels, eux, sont furieux. L’Adepale (qui représente les entreprises de produits transformés), la Fict (Fédération des industriels de la charcuterie) et la Fnil (Fédération nationale des industries laitières) dénoncent un « détricotage » en règle du marché unique européen. La Fnil déplore « le côté protectionniste » de la mesure, qui va nuire selon elle aux exportations, alors que la France est largement excédentaire (6,9 milliards d’euros de produits laitiers exportés en 2014). Après la France, d’autres pays seront tentés de faire la même chose, met en garde Olivier Picot, le président de la Fnil, dans Le Monde.
« Je ne vois pas les Italiens accepter d’utiliser du lait français pour faire leur mozzarella ».
Les Italiens ont d’ailleurs engagé le processus pour suivre la voie de la France.
Des étiquettes à rallonge
Cette nouvelle règlementation risque en outre d’être un véritable casse-tête. Imaginez qu’un simple yaourt aux fruits, qui contient plus d’une quinzaine d’ingrédients, doive afficher la provenance de chacun d’entre eux : la surface du pot n’y suffira même pas. Certes, on ne peut que louer la volonté de transparence. Mais ces dernières années, les mentions obligatoires se sont multipliées (liste des allergènes, valeur nutritionnelle, et bientôt un logo avec un code couleur), sans compter qu’il existe déjà de nombreuses initiatives déjà existantes pour promouvoir la filière française, comme les labels AOC et AOP (qui concerne 45 fromages et 3 beurres), le logo Viandes de France ou celui « Lait collecté et conditionné en France », créé par Syndilait.
Vient aussi la question du surcoût. « Nous allons créer une nouvelle tension sur le prix de certaines matières premières« , dénonce Cécile Rauzy, directrice alimentation et santé de l’Ania, dans le magazine Process Alimentaire. Sans compter le coût de l’étiquetage lui-même, que le rapport de la Commission européenne estime à 8% minimum. Une hausse qui sera forcément répercutée sur le prix final.
Les vraies causes de la crise restent sans réponse
Bref, tout cela ressemble fort à une agitation médiatique. Car en réalité, 99% du lait transformé sur le territoire français provient de France. Les importations ne sont donc pas responsables des déboires de nos agriculteurs. Le vrai problème, c’est la surproduction générale de lait dans le monde et particulièrement en Europe. L’an dernier, celle-ci a fourni 151,2 millions de tonne de lait, en hausse de 2,2%, et sur les quatre premiers mois de 2016, la hausse atteint encore 5%. Du coup, à peine un an après la suppression des quotas laitiers en avril 2015, ces derniers ont déjà fait leur retour. Le deuxième problème concerne le manque de compétitivité de l’élevage français. Le prix moyen à la production de lait est de 319 euros en France, contre 305 euros en Allemagne, ou 288 euros en Belgique et en Pologne, selon les chiffres de la Commission Européenne.
Dans ce contexte, ajouter une étiquette de plus sur les produits en misant sur le patriotisme du consommateur semble un remède bien léger.
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